Pierre Brossolette, journaliste
politique, homme très intelligent, a été l'une des grandes figures
de la Résistance sous l'occupation allemande. Mort dans des
circonstances tragiques (il a sauté par une fenêtre de la salle où
l'on s'apprêtait à le torturer, après avoir déjà été torturé
à de maintes reprises), il est entré au Panthéon il y a quelques
mois, en même temps que Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine
Tillion et Jean Zay.
J'ai d'abord lu la biographie
écrite par Eric Roussel, historien qui a écrit de nombreuses
biographies d'hommes politiques (j'ai d'ailleurs la biographie de
François Mitterrand qui m'attend mais elle est tellement énorme que
je ne la lirai pas avant l'été prochain je pense !) et reçu des
prix. J'ai eu l'occasion de lui parler lors du salon Histoire de Lire
de l'hôtel de ville de Versailles et je l'ai trouvé adorable. Pour
la petite histoire, je lui ai expliqué que je souhaitais travailler
sur Gilberte Brossolette dans le cadre de mon mémoire de Master 2 et
il m'a tout de suite proposé de m'aider. Autant dire que ça
augurait une bonne lecture.
Je me suis très vite attachée au
Pierre Brossolette dépeint par l'historien. Quelques rapides pages
sur l'enfance précèdent le récit de ses études puis de ses débuts
de journaliste politique. Eric Roussel s'attache à nous décrire les
idées politiques de Brossolette. Ce dernier était un idéaliste
(dans le sens où il accordait une grande place aux idées) mais ça
ne l'empêchait pas d'être aussi pragmatique et réaliste, surtout
lors des multiples événements des années 1930 qui menèrent peu à
peu à la Seconde Guerre mondiale. Journaliste, éditorialiste,
engagé à la SFIO, il fut aussi chroniqueur à la radio où il
parlait de politique étrangère. La biographie écrite par Eric
Roussel contient de nombreux documents en annexes, dont des articles
écrits par Pierre Brossolette, et le récit est lui aussi complété
par des extraits de chroniques. Le moins que l'on puisse dire est que
le futur résistant portait une analyse très fine des événements
et devinait ce qui allait se passer, non pas comme un devin, mais
comme quelqu'un qui sait interpréter les paroles et les actions des
uns et des autres. Très intelligent, donc, intelligent et bosseur,
il ne comptait pas les heures de travail. (il avait été reçu
premier au concours de l’École Normale Supérieure, rien que ça !).
Pierre Brossolette était un homme
d'idées, mais pas que. Il a fait preuve d'un courage sans faille
lors des quelques mois de bataille qu'a menés la France au début de
la Seconde Guerre Mondiale. Eric Roussel comme Gilberte Brossolette,
à travers des témoignages unanimes à ce sujet, nous montrent que
Pierre Brossolette est resté proche des hommes qu'il a dirigés,
qu'il les a soutenus jusqu'au bout et les a ramené vivants après
la défaite, alors qu'ils fuyaient l'ennemi victorieux. Il a fait
preuve d'un courage sans faille, courage qui le guidera tout au long
des heures sombres de l'Occupation.
Les deux biographies dépeignent
l'ambiance qui règne alors. Les questionnements de chacun, les
doutes, les peurs, les prises de position. Le livre d'Eric Roussel
m'a appris beaucoup de choses sur la Résistance, notamment sur les
conflits qui opposaient les différents mouvements et réseaux.
Pierre Brossolette rejoint Londres avec femme et enfants en 1942,
mais fera de multiples allers-retours en France occupée, ne voulant
pas devenir, comme il le dira à Gilberte Brossolette, un “rond de
cuir de la Résistance”. Ce qu'on nomme “la Résistance” n'est
pas en fait pas unie. Il y a beaucoup de groupes et ils ne mènent
pas des actions coordonnées. Il y a aussi beaucoup d'imprudences. Et
tous les réseaux ne sont pas favorables à De Gaulle, loin de là.
Il faut aussi souligner les grandes différences qu'il y avait entre
la zone occupée et la zone libre, et que les groupes de ces deux
zones n'étaient pas en phase entre eux. Tout cela complique bien les
choses et la tâche de Pierre Brossolette était d'y mettre de
l'ordre. Les deux biographies expliquent avec beaucoup de précision
ses missions et sa volonté tout en mettant en avant les luttes de
pouvoir qu'il y avait au sein de la France Libre.
Dans son livre, Gilberte
Brossolette dresse le portrait de son époux avec beaucoup de
tendresse et d'admiration. Son témoignage nous donne à voir l'homme
qu'il était dans sa vie privée. On y découvre un mari très
amoureux de sa femme et un couple très soudé. Avec ses enfants, le
résistant est un père exigeant mais aussi et surtout soucieux de
leur bien être. Souriant et plein d'humour, il est néanmoins en
proie à une inquiétude constante. Il pouvait être charmant mais
son ton pouvait aussi être cassant, ce qui donnait de lui l'image
d'un homme arrogant et suffisant. Exigeant, il l'était avec ceux qui
l'entouraient et envers lui-même. (sur ce point, vous pouvez lire la lettre qu'il a envoyée à Charles de Gaulle, lettre dans laquelle il exprime son désaccord avec des mots que peu de personnes auraient osé écrire au Général)
C'est difficile de faire court
quand on parle d'un homme de la trempe de Pierre Brossolette. Nul
doute qu'il aurait été un grand homme politique s'il n'avait eu
cette fin funeste. Son arrestation et la suite des événements,
fruits de malheureux hasards et d'imprudences de la part de
résistants, m'ont fendu le coeur. Lire ces lignes, c'était
assister, impuissante, à un drame. Comment ne pas être touchée
lorsque Gilberte Brossolette évoque les longues semaines sans
savoir, les longues semaines à se poser des questions alors que
personne n'ose lui avouer la triste vérité. Elle à Londres, le
corps de son mari à Paris. C'est elle qui, bravant le danger, vient
enquêter clandestinement sur les circonstances de la mort de son mari.
Pour finir, deux petits extraits
du livre écrit par Gilberte Brossolette. Le premier extrait, qui
clôt la biographie, m'a beaucoup touchée.
“Pierre fut incinéré le 24
mars au Père-Lachaise, en même temps qu'un autre résistant,
François Delimal, du Bureau des opérations aériennes.
Deux urnes furent scellées dans
l'aide gauche du colombarium. Elles portent gravés les numéros 3913
et 3920. Nul ne sait laquelle contient les cendres de François
Delimal, laquelle celles de Pierre.
Quand je me recueille devant
l'inscription “Inconnu”, gravée dans le marbre, revient en écho
la phrase que Pierre m'avait dite un jour : “S'il arrive quelque
chose, n'oublie jamais que je t'ai passionnément aimée.” ”
Et une petite anecdote sur leur
rencontre. Pierre et Gilberte se sont connus alors qu'ils étaient
étudiants, Pierre à l’École normale supérieure, et Gilberte à la
Sorbonne en Histoire. Pierre Brossolette a abordé sa future épouse
en lui demandant si elle pouvait lui prêter les notes qu'elle avait
prises lors d'un cours qu'ils fréquentaient tous les deux. Gilberte
Brossolette écrit alors :
“Je saurais aussi que c'était
en entendant mon prénom, celui de l'héroïne des Jeunes filles en
fleur, qu'il avait levé les yeux pour comparer ma silhouette à
l'image qu'il s'était faite de la Gilberte de Proust.”
J'ai appris beaucoup de choses en lisant ces deux biographies. J'ai découvert un homme passionnant qui aurait pu faire tellement de choses à la Libération s'il n'avait pas été arrêté … Les détails sur la Résistance sont également passionnants et instructifs. Gilberte Brossolette a consacré sa vie à la mémoire de Pierre Brossolette. J'espère pouvoir lui rendre l'hommage qu'elle mérite à son tour.
Cette chronique n'était pas très joyeuse mais j'en profite tout de même pour vous souhaiter un joyeux Noël !