mercredi 23 décembre 2015

Pierre Brossolette raconté par Gilberte Brossolette et par Eric Roussel



Pierre Brossolette, journaliste politique, homme très intelligent, a été l'une des grandes figures de la Résistance sous l'occupation allemande. Mort dans des circonstances tragiques (il a sauté par une fenêtre de la salle où l'on s'apprêtait à le torturer, après avoir déjà été torturé à de maintes reprises), il est entré au Panthéon il y a quelques mois, en même temps que Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay.

J'ai d'abord lu la biographie écrite par Eric Roussel, historien qui a écrit de nombreuses biographies d'hommes politiques (j'ai d'ailleurs la biographie de François Mitterrand qui m'attend mais elle est tellement énorme que je ne la lirai pas avant l'été prochain je pense !) et reçu des prix. J'ai eu l'occasion de lui parler lors du salon Histoire de Lire de l'hôtel de ville de Versailles et je l'ai trouvé adorable. Pour la petite histoire, je lui ai expliqué que je souhaitais travailler sur Gilberte Brossolette dans le cadre de mon mémoire de Master 2 et il m'a tout de suite proposé de m'aider. Autant dire que ça augurait une bonne lecture.

Je me suis très vite attachée au Pierre Brossolette dépeint par l'historien. Quelques rapides pages sur l'enfance précèdent le récit de ses études puis de ses débuts de journaliste politique. Eric Roussel s'attache à nous décrire les idées politiques de Brossolette. Ce dernier était un idéaliste (dans le sens où il accordait une grande place aux idées) mais ça ne l'empêchait pas d'être aussi pragmatique et réaliste, surtout lors des multiples événements des années 1930 qui menèrent peu à peu à la Seconde Guerre mondiale. Journaliste, éditorialiste, engagé à la SFIO, il fut aussi chroniqueur à la radio où il parlait de politique étrangère. La biographie écrite par Eric Roussel contient de nombreux documents en annexes, dont des articles écrits par Pierre Brossolette, et le récit est lui aussi complété par des extraits de chroniques. Le moins que l'on puisse dire est que le futur résistant portait une analyse très fine des événements et devinait ce qui allait se passer, non pas comme un devin, mais comme quelqu'un qui sait interpréter les paroles et les actions des uns et des autres. Très intelligent, donc, intelligent et bosseur, il ne comptait pas les heures de travail. (il avait été reçu premier au concours de l’École Normale Supérieure, rien que ça !).

Pierre Brossolette était un homme d'idées, mais pas que. Il a fait preuve d'un courage sans faille lors des quelques mois de bataille qu'a menés la France au début de la Seconde Guerre Mondiale. Eric Roussel comme Gilberte Brossolette, à travers des témoignages unanimes à ce sujet, nous montrent que Pierre Brossolette est resté proche des hommes qu'il a dirigés, qu'il les a soutenus jusqu'au bout et les a ramené vivants après la défaite, alors qu'ils fuyaient l'ennemi victorieux. Il a fait preuve d'un courage sans faille, courage qui le guidera tout au long des heures sombres de l'Occupation.

Les deux biographies dépeignent l'ambiance qui règne alors. Les questionnements de chacun, les doutes, les peurs, les prises de position. Le livre d'Eric Roussel m'a appris beaucoup de choses sur la Résistance, notamment sur les conflits qui opposaient les différents mouvements et réseaux. Pierre Brossolette rejoint Londres avec femme et enfants en 1942, mais fera de multiples allers-retours en France occupée, ne voulant pas devenir, comme il le dira à Gilberte Brossolette, un “rond de cuir de la Résistance”. Ce qu'on nomme “la Résistance” n'est pas en fait pas unie. Il y a beaucoup de groupes et ils ne mènent pas des actions coordonnées. Il y a aussi beaucoup d'imprudences. Et tous les réseaux ne sont pas favorables à De Gaulle, loin de là. Il faut aussi souligner les grandes différences qu'il y avait entre la zone occupée et la zone libre, et que les groupes de ces deux zones n'étaient pas en phase entre eux. Tout cela complique bien les choses et la tâche de Pierre Brossolette était d'y mettre de l'ordre. Les deux biographies expliquent avec beaucoup de précision ses missions et sa volonté tout en mettant en avant les luttes de pouvoir qu'il y avait au sein de la France Libre.

Dans son livre, Gilberte Brossolette dresse le portrait de son époux avec beaucoup de tendresse et d'admiration. Son témoignage nous donne à voir l'homme qu'il était dans sa vie privée. On y découvre un mari très amoureux de sa femme et un couple très soudé. Avec ses enfants, le résistant est un père exigeant mais aussi et surtout soucieux de leur bien être. Souriant et plein d'humour, il est néanmoins en proie à une inquiétude constante. Il pouvait être charmant mais son ton pouvait aussi être cassant, ce qui donnait de lui l'image d'un homme arrogant et suffisant. Exigeant, il l'était avec ceux qui l'entouraient et envers lui-même. (sur ce point, vous pouvez lire la lettre qu'il a envoyée à Charles de Gaulle, lettre dans laquelle il exprime son désaccord avec des mots que peu de personnes auraient osé écrire au Général)

C'est difficile de faire court quand on parle d'un homme de la trempe de Pierre Brossolette. Nul doute qu'il aurait été un grand homme politique s'il n'avait eu cette fin funeste. Son arrestation et la suite des événements, fruits de malheureux hasards et d'imprudences de la part de résistants, m'ont fendu le coeur. Lire ces lignes, c'était assister, impuissante, à un drame. Comment ne pas être touchée lorsque Gilberte Brossolette évoque les longues semaines sans savoir, les longues semaines à se poser des questions alors que personne n'ose lui avouer la triste vérité. Elle à Londres, le corps de son mari à Paris. C'est elle qui, bravant le danger, vient enquêter clandestinement sur les circonstances de la mort de son mari. 

Pour finir, deux petits extraits du livre écrit par Gilberte Brossolette. Le premier extrait, qui clôt la biographie, m'a beaucoup touchée.
Pierre fut incinéré le 24 mars au Père-Lachaise, en même temps qu'un autre résistant, François Delimal, du Bureau des opérations aériennes.
Deux urnes furent scellées dans l'aide gauche du colombarium. Elles portent gravés les numéros 3913 et 3920. Nul ne sait laquelle contient les cendres de François Delimal, laquelle celles de Pierre.
Quand je me recueille devant l'inscription “Inconnu”, gravée dans le marbre, revient en écho la phrase que Pierre m'avait dite un jour : “S'il arrive quelque chose, n'oublie jamais que je t'ai passionnément aimée.” ”

Et une petite anecdote sur leur rencontre. Pierre et Gilberte se sont connus alors qu'ils étaient étudiants, Pierre à l’École normale supérieure, et Gilberte à la Sorbonne en Histoire. Pierre Brossolette a abordé sa future épouse en lui demandant si elle pouvait lui prêter les notes qu'elle avait prises lors d'un cours qu'ils fréquentaient tous les deux. Gilberte Brossolette écrit alors :
Je saurais aussi que c'était en entendant mon prénom, celui de l'héroïne des Jeunes filles en fleur, qu'il avait levé les yeux pour comparer ma silhouette à l'image qu'il s'était faite de la Gilberte de Proust.



J'ai appris beaucoup de choses en lisant ces deux biographies. J'ai découvert un homme passionnant qui aurait pu faire tellement de choses à la Libération s'il n'avait pas été arrêté … Les détails sur la Résistance sont également passionnants et instructifs. Gilberte Brossolette a consacré sa vie à la mémoire de Pierre Brossolette. J'espère pouvoir lui rendre l'hommage qu'elle mérite à son tour.











Cette chronique n'était pas très joyeuse mais j'en profite tout de même pour vous souhaiter un joyeux Noël !

2 commentaires:

  1. Voilà un homme que j'avoue ne pas connaître, peut-être juste le nom. Un de mes projets littéraires est justement de lire un peu plus de biographies d'hommes importants alors je note les deux, même si je pense que j'en choisirai une des deux. Laquelle est la mieux pour une "non initiée" si je puis dire ?

    Bon courage pour ton mémoire ! :-D

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    1. Il y a encore l'exposition au Panthéon sur les quatre résistants entrés il y a quelques mois (il me semble qu'elle se termine à la fin du mois) si jamais ça t'intéresse :)

      Pour les biographies, ça dépend ce que tu cherches. La biographie d'Eric Roussel insiste beaucoup sur les idées politiques de Pierre Brossolette. Il offre aussi un bel aperçu de la Résistance (luttes de pouvoir, différence d'idées et incompréhension entre la zone libre et la zone occupée par exemple). Eric Roussel a écrit plusieurs biographies d'hommes politiques et ça se ressent à la lecture. La biographie écrite par Gilberte Brossolette apporte plus d'élément sur l'homme qu'elle a connu au quotidien, l'époux et le père. Elle parle aussi de ses idées politiques mais peut-être moins que Roussel. Gilberte Brossolette parle aussi un peu d'elle, de comment elle a vécu la 2nde Guerre mondiale en tant que femme, résistante et épouse de résistant. Elle évoque la vie à Londres aussi. Son récit est beaucoup plus personnel, elle y livre ses sentiments pour rendre hommage à Pierre Brossolette.

      J'espère t'avoir aidé à faire un choix. Si tu as d'autres questions n'hésite pas ;)

      Merci beaucoup ! Je n'avais pas très envie de faire un nouveau mémoire mais maintenant que je travaille sur Gilberte Brossolette, ça me passionne **

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