lundi 3 août 2015

Ashford Park de Lauren Willig


Après les livres que j'ai lus au début de mes vacances, j'ai eu du mal à me lancer dans une nouvelle fiction. Mon séjour en Normandie puis en Bretagne m'a permis de faire une pause dans mes lectures et j'ai privilégié les journaux et magazines. Cette pause m'a fait un grand bien. J'ai alors pu me lancer dans la lecture de l'unique roman que j'avais apporté avec moi en vacances : Ashford Park de Lauren Willig.

C'est le genre de romans que j'aime lire l'été. Plusieurs générations de femmes d'une même famille font face à des problèmes liés à leur âge et à leur génération. Des secrets que l'on a tenté d'oublier depuis des années refont surface et viennent troubler leur quotidien déjà bien compliqué. Que faire quand vous apprenez que la personne à qui vous devez tout n'est pas celle que vous croyiez être ? C'est la question que se pose Clemmie Evans, trentenaire, avocate, le type même de la working girl qui laisse sa vie personnelle de côté pour se donner corps et âme à son job, lorsqu'elle apprend l'existence de la cousine de sa grand-mère Addie, Béa. Qui est Béa et surtout, qu'est-elle devenue ?

Pour tenter de résoudre ce mystère, nous suivons parallèlement l'histoire de Clemmie, en 1999, et celle d'Addie, au début du XXe siècle. Toutes deux vivent un changement de siècle. Clemmie le vit symboliquement, en passant de 1999 à l'année 2000. Addie, elle, vit un changement de siècle dans l'action, dans la tourmente de la Première Guerre mondiale et des changements provoqués par ce conflit. Addie a six ans, en 1906, lorsque ses parents décèdent, renversés par un omnibus. Enfant d'un couple ouvert à la modernité et aux questions sociales qui émergent, elle est emmenée chez le frère de son père. Son oncle et sa tante, hostiles à la vie menée par les parents de Addie, n'ont guère envie d'accueillir l'enfant. Dans ce climat hostile, représenté par le manoir Ashford, un endroit qui fait peur à l'orpheline, la seule alliée d'Addie est sa cousine Béa, d'un an son aînée.

A travers le regard d'Addie, le lecteur est plongé dans la vie aristocratique d'avant-guerre. La Première Guerre mondiale vient troubler les projets de la tante d'Addie. Nous sommes en plein conflit lorsque Béa atteint l'âge d'entrer dans le monde. Impossible de faire son bal de débutante alors que les jeunes Anglais sont sur le front. Le nombre de prétendants est réduit. Mais surtout, les consciences sont profondément changées. On ne rêve que d'oublier ce qu'on a vu dans les tranchées, on ne rêve que de se sentir vivant après avoir côtoyé la mort de si près. C'est le tableau d'une jeunesse perdue, d'une jeunesse qui se fait mal pour se sentir vivante, que nous offre l'auteur d'Ashford Park. Ce sentiment que plus rien n'a d'importance donne toute sa profondeur à Frédéric Desborough, jeune homme dont s'est éprise Addie.

L'amour a bien son importance dans ce roman. L'amour sincère, l'amour feint, l'amour destructeur. Nous passons d'un siècle où les mariages ne se font pas par amour, à un siècle où on se demande s'il existe encore et s'il n'est pas qu'une illusion. Les divorces détruisent des existences, à la fois celles des parents et celles des enfants. Clemmie est bien placée pour le savoir : ses parents ont divorcé alors qu'elle n'était encore qu'une enfant. Addie a vécu la mort de ses parents à cet âge. Clemmie, elle, vit un divorce. Sa mère avait renoncé à une carrière pour son mariage. Elle encourage sa fille à poursuivre ses études et à se consacrer à sa carrière pour ne pas faire la même erreur. Une nouvelle fois, le lecteur peut voir le décalage entre les générations : autrefois, une femme devait se marier très tôt. Dorénavant, les études et la carrière passent avant tout. Après la Première Guerre mondiale, la jeunesse se perdait dans les night clubs, l'alcool et la drogue. Clemmie, elle, se perd dans un petit bureau, elle se noie non pas dans l'alcool mais dans le travail.

En 1999, Addie a quatre-vingts dix-neuf ans. Clemmie prend subitement conscience qu'elle ne passe pas assez de temps auprès de sa grand-mère. La révélation d'un terrible secret va lui faire réaliser qu'elle ne sait rien de sa grand-mère, et ce peut-être parce qu'elle ne lui avait jamais rien demandé sur son passé. Tout ce qu'elle sait, c'est qu'Addie avait une plantation de café au Kenya avec le grand-père de Clemmie. Mais pourquoi le Kenya ? Pourquoi être allés si loin de l'Angleterre ?
Si une histoire d'amour est bien le sujet de fond de ce roman, le récit nous offre d'autres réflexions. Ces destins de femmes (Addie, Clemmie, Béa, mais aussi Marjorie et Anna, la mère et la tante de Clemmie) nous montrent qu'à travers les siècles, les femmes ont toujours dû se battre pour trouver leur place. L'Histoire les a souvent détournées de leurs chemins, les a entrainées dans des sentiers jusqu'alors inconnus. Le temps qui passe devient leur terrible ennemi : pour certaines d'entre elles, voir le temps s'inscrire dans leurs traits, creuser des plis dans leur peau, est un cauchemar ; mais c'est aussi le temps qui nous enlève ceux qu'on aime qui constitue un ennemi redoutable. Profiter du temps présent, ne pas laisser passer les occasions, voilà ce que nous dit ce roman.

Ce roman est agréable à lire. Les allers-retours passé/présent (procédé narratif que j'aime beaucoup) renforcent le suspens et nous donnent envie de poursuivre la lecture. Les personnages sont un peu clichés (Clemmie, la working girl qui néglige sa vie amoureuse ; Anna, la tante plusieurs fois divorcée croqueuse d'hommes ; Marjorie, la mère qui veut tout contrôler...). Mais ça ne m'a pas empêchée d'apprécier cette lecture et ce notamment parce que l'auteur a très bien su distiller des questions dès le début du roman, si bien qu'on n'a qu'une envie : découvrir ces secrets de famille.



source de la première image : we heart it

7 commentaires:

  1. Je ne connais que très peu ce genre de romans, qui me font penser à Jane Austen. Préjugé encore ??
    Je devrais en tenter un pour sortir à nouveau de mes fameux préjugés :p
    Il faut que tu me conseilles !
    Et je comprends le bien que peu faire une pause. J'en fais une rapide de deux jours là -enfin je traîne encore sur les blogs, quand même :p- mais ça fait du bien, même courte.

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    1. Oui c'est un préjugé, car ça n'a rien à voir avec Jane Austen ^^ Tu pensais peut-être aux livres qui reprennent l'univers et les personnages de Jane Austen ? Ce n'est pas du tout cela. Il y a certes des histoires d'amour mais le traitement n'est pas du tout le même. Il y a beaucoup plus d'action, et le rôle accordé à l'Histoire est aussi plus important.

      Là tout de suite je n'ai pas d'idée d'autres romans de ce genre à te proposer mais j'y réfléchis ! Je te conseille d'aller voir sur le site des Éditions Charleston. Ce livre ne vient pas de cette maison d'édition mais elle propose le même genre de romans :)

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  2. Ça c'est peut-être bien le genre de livres qui pourrait me plaire. L'idée de base me rappelle un peu Lignes de failles de Nancy Huston (même si l'histoire qui en découle n'est pas la même) et c'est un de mes romans préférés.D'habitude je ne suis pas très portée sur les livres de ce genre mais lorsqu'ils sont écrits de cette façon c'est beaucoup plus intriguant. Chouette chronique !
    Whalzz

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  3. J'adore les secrets de famille. Ce livre est fait pour moi, enfin, je l'espère ! :-)

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  4. @Eloa : je ne connais pas Nancy Huston mais je vais aller voir ce titre :) Intriguant, c'est le mot ! Dès le début on se pose plein de questions. Il y a des surprises jusqu'à la fin, même quand on pensait avoir tout trouvé.

    @LeSalon DesLettres : en effet, si tu aimes les secrets de famille, ce roman devrait te plaire, d'autant plus qu'une grande place est accordée aux événements historiques (la Première Guerre mondiale en particulier) :)

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  5. Je ne connaissais pas mais pourquoi pas :)

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