Du côté de chez Swann – A
l'ombre des jeunes filles en fleurs – Le côté de Guermantes –
Sodome et Gommorrhe – La prisonnière – Albertine disparue – Le
Temps retrouvé
Encore lui ?
Me direz-vous. Oui, encore lui. L'année dernière, j'ai décidé de
lire un volume de la Recherche par an. J'ai lu A l'ombre
des jeunes filles en fleurs l'année dernière, en juin, et
j'avais trouvé que c'était parfait : les principales épreuves des
partiels étaient passées, il me restait des oraux, et la lecture de
ce volume me permettait de me détendre. J'ai décidé de faire
pareil cette année et ai commencé Le côté de Guermantes au
début du mois de juin.
Le
narrateur, maintenant jeune homme, déménage avec ses parents
(toujours à Paris) et habite désormais près de la marquise de
Villeparisis (la tante du duc de Guermantes). Un jour, au théâtre,
il croise le regard de la duchesse de Guermantes qui le salue. A
partir de ce moment, le narrateur va tout faire pour être invité
chez elle. Il imagine ce que ce doit être que d'être invité par la
duchesse et d'aller chez elle. Une chose n'a pas changé chez le
narrateur depuis le premier volume : il a beaucoup d'imagination. Et
les noms font jouer son imagination. Dans le deuxième volume, le
narrateur se fait tout un monde de Balbec (station balnéaire qui
représente Cabourg) en se faisant son idée de la ville en fonction
des sonorités du nom. Mais une fois à Balbec, il est déçu. Cette
fois, c'est le nom de Guermantes qui le fait voyager en pensée. Ce
nom le fait penser à des couleurs, des odeurs, des sons, et le
pousse à en faire une description sensorielle. Le nom devient plus
important que les personnes. L'imagination dépasse le réel et de ce
fait, la réalité est forcément décevante.
Le narrateur
veut aller chez le duc et la duchesse de Guermantes. Et pour cela, il
va déployer une série de stratagèmes qui ne vont pas avoir les
effets escomptés. Pour se faire remarquer par la duchesse, il va se
promener tous les matins sur le chemin que celle-ci prend mais cela
ne fait qu'agacer la fière Oriane Guermantes. Le narrateur se
rapproche alors de son ami rencontré à Balbec, Robert de
Saint-Loup, qui n'est autre le neveu d'Oriane. Saint-Loup fait son
service militaire à Doncières, alors le narrateur s'y rend pour
suggérer à son ami de l'amener chez la duchesse, pour, prétend-il,
voir les tableaux du peintre Eltsir que celle-ci possède. Ce sont là
les premières stratégies mises en place par le narrateur pour se
faire inviter chez la duchesse de Guermantes. De Paris à Doncières,
de Doncières à Paris, il rêve des Guermantes, de leurs salons, de
leurs invités et des discussions de ces aristocrates que l'on a le
plus grand mal à approcher.
Tout cela
détourne notre narrateur de sa vocation : la littérature. Il
n'écrit plus. A la place, il rêvasse, il pense sans cesse à
l'objet de ses obsessions successives. Il parle, aussi, et fait
preuve d'un esprit éclairé, notamment à Doncières lorsqu'il passe
des soirées en compagnie de Saint Loup et de ses amis. Nous sommes
en plein dans l'affaire Dreyfus et le lecteur peut voir que les
positions sont bien plus compliquées que l'opposition
dreyfusards/anti-dreyfusards. Tous les dreyfusards ne le sont pas
pour les mêmes raisons et il en est de même pour les
anti-dreyfusards. De Doncières aux salons aristocratiques, les
esprits s'échauffent à la mention de cette affaire. L'Affaire
Dreyfus traverse le volume, ce qui en fait un des sujets principaux
développés par le narrateur. Marcel Proust a pris part à l'Affaire en signant des pétitions en faveur d'une révision du procès de Dreyfus après la publication de la lettre J'accuse, de Zola, dans l'Aurore. Il fut ainsi dreyfusard après avoir été certain que Dreyfus était innocent.
D'autres
thèmes font l'objet de réflexions de la part du narrateur : le
sommeil et le temps qui passe par exemple. Ce que dit le narrateur
nous parle toujours aujourd'hui, ce sont des questions éternelles,
des questions que l'on se pose toujours. Ainsi, lorsqu'il parle des
êtres changeants, on ne peut qu'être touché et réfléchir aux
personnes qui nous entourent. Il est impossible de connaître
parfaitement une personne, de la connaître sous tous ses aspects et
c'est aussi le cas pour les opinions.
“Malgré
cela il faut se rappeler que l'opinion que nous avons les uns des
autres, les rapports d'amitié, de famille, n'ont rien de fixe qu'en
apparence, mais sont aussi éternellement mobiles que la mer. De là
tant de bruits de divorce entre des époux qui semblaient si
parfaitement unis et qui, bientôt après, parlent tendrement l'un de
l'autre ; tant d'infamies dites par un ami sur un ami dont nous le
croyions inséparable et avec qui nous le trouverons réconcilié
avant que nous ayons le temps de revenir de notre surprise ; tant de
renversements d'alliances en si peu de temps entre les peuples”.
(p.258)
Mais
n'oublions pas que le narrateur sait nous faire rire. A côté des
réflexions philosophiques, nous avons des dialogues plein d'humour
offerts par les aristocrates dans leurs salons. L'esprit Guermantes
(qui rappelle “l'esprit Mortemart” dont parlait Saint-Simon dans
ses Mémoires) est connu de tous et chaque invité pousse la
duchesse de Guermantes à faire des bons mots qu'il pourra ensuite
répéter à l'envie : “Tu as entendu le bon mot d'Oriane ?”.
D'autres
scènes font rire, comme celle où le narrateur, ne sachant pas que
le baron de Charlus est le frère du duc de Guermantes, se moque du
duc devant lui. Et si je parle de scène, c'est parce que cette
situation fait penser au comique de situation des pièces de théâtre
(et est issue de la réalité puisque Marcel Proust l'a réellement
vécu).
“Je lui
dis qu'il fallait d'abord que je dise quelques mots à Saint-Loup.
“Il est en train de parler avec cet idiot de duc de Guermantes,
ajoutai-je. - C'est
charmant ce que vous dîtes-là, je le dirai à mon frère. - Ah !
Vous croyez que cela peut intéresser M.de Charlus ?” (Je me
figurais que, s'il avait un frère, ce frère devait s'appeler
Charlus aussi. Saint-Loup m'avait bien donné quelques explications
là-dessus à Balbec, mais je les avais oubliées). “Qui est-ce qui
vous parle de M.de Charlus ? Me dit le baron d'un air insolent.”
(p.268)
Bien qu'il
mette de côté l'écriture pour s'intéresser aux femmes, le
narrateur n'oublie pas l'art. Il y a myriade de références à tous
les arts. J'ai relevé pour vous deux exemples :
-en musique,
les moments musicaux de Schubert, que vous pouvez écouter ici *
-en
peinture, le tableau La Justice et la Vengeance divine poursuivant
le Crime de Prud'hon (le narrateur décrivant Françoise (la cuisinière) sous les traits de la Justice.
Il y a encore beaucoup de choses à dire sur Le côté de Guermantes, mais il faudrait des pages et des pages pour tout évoquer. Je vais finir cette chronique en vous disant que j'ai adoré poursuivre ma lecture de la Recherche. Il y a tout ce que j'aime chez Proust : une plume magnifique qui vous fait voyager dans les pensées du narrateur ; des réflexions philosophiques qui vous font réfléchir et qui vous montrent que vous vous posez les mêmes questions que lui ; de l'ironie qui vous fait sourire
Premier tableau - Une soirée au Pré-Catelan de Henri Gervex - 1909
Je ne connaissais pas ce livre de l'auteur ! Il faut absolument que je lise à l'ombre des jeunes filles en fleurs !
RépondreSupprimerAhhhh enfin cet article tant attendu !! Je suis ravie de voir que tu as passé un bon moment. ça me donne presque envie de me replonger dans ce tome... ou en tout cas dans la Recherche, mais je suis bloquée à ce troisième opus... J'ai eu beaucoup de mal à l'époque (il y a plus de quatre ans...) à adhérer à l'esprit des salons... Trop de blablas à mon goût. Même sous la plume de Proust j'ai eu du mal. Mais je devrais sans doute réessayer; ton article m'en donne en tout cas envie. Et surtout, bravo pour ton challenge réussi ! Tu t'achemines doucement mais sûrement vers une lecture intégrale, fait remarquable :)
RépondreSupprimerEt j'oubliais : Vive Marcel !!
J'aime beaucoup ton analyse.
RépondreSupprimerEncore lui comme tu dis, mais c'est un auteur incontournable et une oeuvre incontournable, même si pour ma part, "du côté de chez Swann" reste son chef-d'oeuvre.
Sunset Avenue -> Généralement on connait le premier et le dernier volume de la Recherche. A l'Ombre des jeunes filles en fleurs est aussi une très bonne lecture. Le narrateur se rend à Balbec (Cabourg), ce qui donne lieu à des descriptions de la Normandie notamment.
RépondreSupprimerSaleanndre -> Si je t'ai donné envie de te replonger dans ce volume, alors c'est que j'ai réussi ma chronique :) Ce que j'ai aimé dans ces salons, c'est les jeux de mots des aristocrates et l'ironie du narrateur qui prend du recul par rapport à ces salons où il souhaitait tant aller. Et encore, je n'ai pas parlé de tout car il y a des événements que je préfère laisser le lecteur découvrir ^^ Et merci ! Je prends mon temps et je savoure. Un volume par an me semble bien. "Vive Marcel !", je vote pour que ce soit le mantra de notre fan club !
Lapetiteplumeblog -> merci beaucoup :) Et si tu dis que Marcel Proust est un auteur incontournable, alors on va bien s'entendre ! Du côté de chez Swann est en effet le volume à lire, même si on ne lit pas toute la Recherche ensuite, il faut au moins découvrir ce premier volume.
Vive Marcel alors !! :)
RépondreSupprimerOn se fera une lecture commune du prochain tome tien, dans un an :p
Bon, je note tous les tomes que je n'ai pas lu, c'est-à-dire tous sauf le 1. Il n'avait pas été un coup de coeur mais lorsque j'en vois que tu en parles avec autant de plaisir, cela me donne envie de lire le tome 2. Ce ne sera pas tout de suite mais tu me pousses à continuer la série
RépondreSupprimerMon objectif est rempli alors ! J'espère que tu apprécieras plus la suite ;)
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